Dans
les chaînes de montagne, les structures majeures sont les
chevauchements qui absorbent le raccourcissement entre les masses
continentales qui se rapprochent en épaississant la lithosphère
continentale. L’expression la plus visible de cet épaississement est
l’altitude élevée des chaînes de montagne. Par exemple, les continents
Indien et Asiatiques sont entrés en contact il y a environ 55 Ma et
leur convergence se poursuit à l’heure actuelle à une vitesse de
l’ordre de 5cm/an. Au sud de la zone de contact initiale s’est édifiée
au dessus de grands chevauchements la chaîne de l’Himalaya qui comporte
18 sommets de plus de 8000m d’altitude.
Cependant les chevauchements
ne sont pas les seules structures à absorber le rapprochement des deux
continents : l’Asie est affectée de nombreuses failles actives dont des
décrochements immenses comme la faille de l’Altyn Tagh (Fig.1).
Fig. 1: Les grandes failles actives d’Asie et leurs vitesses de glissement. D'après C. Lasserre, J. Van Der Woerd et G. Peltzer, Himalaya-Tibet le choc des continents CNRS editions, 2002. |
L’analogie la plus simple de ces failles est celle de lignes de glissement provoquées dans un milieu plastique (l’Asie) par l’indentation d’un butoir rigide (l’Inde) (Fig. 2).
Fig. 2: Lignes de glissements (failles potentielles) dans un matériau plastique lors de son indentation par un poinçon rigide. Les lignes de glissement dextres sont en rouge et les sénestres en bleu. Les noms des failles indiqués sont des analogies à la Fig . 1. D’après P. Tapponnier et P. Molnar, Slip-line field theory and large-scale continental tectonics, Nature vol. 264, n° 5584, p 319-324, 1976. |
Si
cette analogie est satisfaisante pour expliquer les sens de mouvement
récents (pendant le dernier million d’années) sur les grands
décrochements asiatique, elle n’explique pas leur formation et leur
évolution depuis le début de la collision. A cet effet, un modèle
expérimental simple a été réalisé. Les points clé de ce modèle sont :
1)
L’expérience est confinée verticalement par deux plaques rigides. Celle
du dessus est transparente pour pouvoir suivre l’expérience. Il ne peut
pas y avoir d’épaississement, on ne s’intéresse qu’aux mouvements
horizontaux.
2) L’Asie est représentée par de la plasticine (pâte à
modeler), un matériaux plastique localisant. Au dessus d’une certaine
contrainte le matériau commence à se déformer en formant des failles.
3)
L’Inde est représentée par un poinçon rigide en métal qui vient
emboutir l’Asie (l’utilisation d’un poinçon lui aussi en plasticine ne
change pas fondamentalement les résultats de l’expérience).
4) La
bordure Ouest de l’Asie est libre alors que sa bordure Est est confinée
par une paroi. Les mouvements horizontaux sont beaucoup plus faciles
vers l’Est où le continent est bordé de zones de subduction que vers
l’Ouest où la masse continentale s’étend sur plusieurs milliers de
kilomètres.
Au fur et à mesure de la progression du poinçon dans la
plasticine on observe la formation successive de deux grands systèmes
de failles décrochantes sénestres avec l’extrusion successive de deux
grand blocs continentaux vers l’Est (Fig. 3).
Fig. 3: Film de l’expérience de plasticine. Actualisez la page pour visualiser le déroulement de l'expérience ou ouvrez une version plus détaillée dans une nouvelle fenêtre (.mov) ou ouvrez une version plus détaillée dans une nouvelle fenêtre (.m4v) Réalisation de l’expérience P. Tapponnier et G. King, 2002. Références sur l’expérience originale : Peltzer, G. et al. (1982). "les grands décrochements de l’Est asiatique : évolution dans le temps et comparaison avec un modèle expérimental" C. R. Acad. Sc. Paris, t. 294 : 1341-1348. Peltzer, G. and P. Tapponnier (1988). "Formation and evolution of strike-slip faults, rifts, and basins during the India-Asia collision: an experimental approach." Journal of Geophysical Research 93(B12): 15085-15117. Tapponnier, P., G. Peltzer, et al. (1982). "Propagating extrusion tectonics in Asia: new insights from simple experiments with plasticine." Geology 10: 611-616. |
Cette expérience suggère une évolution en deux temps des systèmes de failles décrochantes en Asie (Fig. 4).
Fig. 3: Le modèle d'estrusion de blocs continentaux en deux phases successives. |
Dans
un deuxième temps se forme la faille sénestre de l’Altyn Tagh et
l’ensemble des blocs Tibet et Chine du Sud se déplacent vers l’Est. La
faille du Fleuve Rouge un moment inactive est ré-activée en sens
inverse (dextre). C’est la situation actuelle. Les grandes lignes de ce
modèle ont été vérifiés sur le terrain notamment le long de la faille
du Fleuve Rouge. Cette structure auparavant considérée comme très
ancienne, est en fait un gigantesque décrochement qui a accommodé plus
de 500 km de décalage sénestre entre 32 et 16 Ma puis quelques dizaines
de kilomètres de décalage dextre depuis ~5Ma (Leloup P.H., pour la
Science, n°210, Avril 1995 p32 ; Lacassin R. et P.H. Leloup
Himalaya-Tibet le choc des continents CNRS editions, 2002 ;
http://image.univ-lyon1.fr/herve/RRF1.html).
Après
cette expérience simple, de très nombreux autres modèles analogiques et
numériques ont été proposés pour la collision Inde-Asie. Aucun de ces
modèles n’explique cependant les mouvements de très grande ampleur le
long de la faille du Fleuve Rouge ni son inversion de sens. Ceci
illustre bien les problèmes de modélisation en sciences de la terre.
L’expérience d’indentation de plasticine est simpliste, mais donne des
résultats réalistes car elle respecte quelques paramètres fondamentaux
: la localisation de la déformation et la possibilité de grands
mouvements horizontaux. Il ne faut cependant pas lui faire dire plus
que ce pourquoi elle a été conçue. Il est par exemple impossible de
déterminer les parts relatives du raccourcissement absorbé par
extrusion latérale et épaississement ce dernier étant impossible dans
l’expérience. Une modélisation complète de la collision Inde-Asie
tenant compte des mouvements verticaux est beaucoup plus complexe. Il
faut en effet tenir compte de la gravité ce qui complique beaucoup la
réalisation de modèles analogiques. Les modèles numériques se sont
heurtés jusqu’à présent à un autre écueil : la prise en compte de la
localisation de la déformation et la création de failles. De plus ces
calculs nécessitent de définir un nombre très élevé de paramètres
(densités des roches, flux thermiques, rhéologie des roches…) qui sont
souvent mal connus, et peuvent radicalement changer les résultats
finaux. Les modélisations numériques ne sont donc adaptées qu’à des
problèmes précis pour lesquels on dispose d’un nombre élevé de
contraintes. La plupart des modèles numériques ont donc été réalisés
sur des coupes transversales à la chaîne de l’Himalaya pour comprendre
les mécanismes d’épaississement. La réalisation d’un modèle numérique à
quatre dimensions (3D + temps) tenant compte des mouvements latéraux et
de l’épaississement est maintenant envisageable grâce à des logiciels
intégrant la localisation de la déformation. Les résultats de tel
modèles devront cependant être validés en les comparants avec les
données de terrain.
Une "vision d'artiste" de la collision et de l'extrusion peut être proposée:
Vision d'artiste du réroulement de la collision |
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